Chapitre 58

 

Dalton approcha à grandes enjambées de la table d’honneur et sourit à Teresa, qui paraissait solitaire et mélancolique. Elle sembla soulagée de le voir, bien qu’il fût très en retard. Il ne lui consacrait pas assez de temps, depuis quelques jours, mais ça n’était pas volontaire, et elle comprenait.

Avant de s’asseoir, il l’embrassa sur la joue.

Le ministre salua son assistant d’un bref hochement de tête. Une femme assise non loin de l’estrade, sur la droite, lui faisait du charme, et il était fasciné par son art de jouer suggestivement avec une tranche de bœuf roulée.

Loin d’être effarouchées par la sexualité débridée de Bertrand, la plupart des femmes le trouvaient attirant à cause de ses appétits excessifs – y compris celles qui n’avaient pas l’intention de passer à l’acte. À la grande surprise de Dalton, qui ne parvenait pas à saisir tous les paradoxes de l’âme féminine, la virilité à l’état sauvage – si inconvenante qu’elle fût – attirait irrésistiblement les dames les plus raffinées. L’appel du danger, sans doute, mêlé à la séduction de l’interdit. Plus un homme se comportait comme un soudard, et plus elles en étaient pantelantes. De quoi n’y rien comprendre !

— J’espère que tu ne t’es pas trop ennuyée, ma chérie, murmura Dalton.

Dans le regard de sa femme, il vit le reflet d’un amour profond, authentique… et fidèle.

N’était le sourire qu’il s’était autorisé à adresser à Tess, Dalton s’efforçait de ne pas trahir son excitation. Il allait bientôt cueillir les fruits de son travail, et cette perspective le grisait. Il but une longue gorgée de vin, sans le savourer, par impatience de sentir l’effet apaisant de l’alcool.

— Tu m’as manqué, c’est tout, dit Teresa. Bertrand a raconté des blagues… (La Jeune femme s’empourpra.) Mais je ne peux pas te les répéter en public. (Elle eut un sourire malicieux.) Peut-être plus tard, dans notre chambre…

Dalton de força à sourire, mais il repensait déjà à des choses beaucoup plus importantes.

— Si je reviens avant que tu sois endormie… Ce soir, je dois faire expédier une nouvelle fournée de messages. (Campbell se força à cesser de pianoter sur la table.) Un événement capital vient de se produire.

— Lequel ? demanda Teresa.

— Tes cheveux ont bien poussé, ma chérie, dit Dalton. (A vrai dire, ils étaient aussi longs que l’autorisait le statut actuel de Tess.) Mais je crois qu’ils devront faire encore un effort. Un gros effort, même.

Si enfantin que ce fût, Dalton adorait jouer les mystérieux de temps en temps.

— Dalton ! s’impatienta Teresa.

Elle était assez fine pour avoir saisi l’allusion, mais il devait lui sembler impossible que son mari, dans la situation présente, soit déjà en mesure de réaliser son ambition ultime.

— Dalton, est-ce lié au… projet… dont tu me parles depuis si longtemps ?

— Excuse-moi, ma chérie, je n’aurais pas dû te taquiner comme ça. Et je m’avance peut-être trop, d’ailleurs… Sois patiente, tu sauras tout dans quelques minutes. Il vaut mieux que le ministre soit le premier à connaître cette nouvelle.

Dame Chanboor avait remarqué le manège de la femme qui « allumait » son mari. Après l’avoir foudroyée du regard, sans grands résultats, elle se tourna vers Bertrand, riva sur lui des yeux mauvais, puis se pencha vers Campbell :

— Vous avez du nouveau ?

Dalton se tamponna les lèvres avec sa serviette et la reposa sur ses genoux. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il estima judicieux d’en finir avec les informations secondaires. De plus, cela soulignerait l’importance capitale de ce qu’il allait falloir faire… d’urgence.

— Le seigneur Rahl et la Mère Inquisitrice travaillent du matin au soir. Ils sont déjà passés dans une multitude d’endroits, où des foules avides de les entendre assistent à leurs réunions de campagne.

» Beaucoup de gens viennent pour voir la Mère Inquisitrice en chair et en os. J’ai peur qu’elle soit bien plus populaire que nous le pensions. Son récent mariage joue – hélas ! – en sa faveur. Le jeune couple est acclamé partout où il va. Les paysans font des lieues et des lieues à pied pour gagner les villes où Rahl et sa femme viennent discourir.

Les bras croisés, Hildemara marmonna un juron d’une rare obscénité, même pour elle. Si les jeunes mariés avaient les oreilles qui sifflaient, cela n’aurait rien d’étonnant…

Dalton se demanda vaguement de quels épithètes dame Chanboor l’accablait quand il lui avait déplu sans s’en apercevoir. Connaissant les insultes qu’elle lançait à son mari, ce devait être gratiné…

Bien que ses collaborateurs soient informés de son goût pour un langage « franc et direct », le peuple la pensait trop pure pour que de telles horreurs franchissent ses lèvres. Fine mouche, Hildemara ne sous-estimait pas la valeur du soutien populaire. Quand l’épouse aimante du ministre – et protectrice bien connue de la veuve et de l’orphelin – sillonnait le pays pour vanter l’excellent travail de son mari (et soigner ses relations avec de prospères bailleurs de fonds), on lui manifestait une adoration très semblable à celle dont bénéficiait la Mère Inquisitrice.

À présent, et plus que jamais, elle devrait jouer brillamment son rôle pour assurer le succès de leur plan.

Avant de continuer son rapport, Dalton prit une nouvelle gorgée de vin.

— La Mère Inquisitrice et le seigneur Rahl ont rencontré plusieurs fois les directeurs, qui semblent satisfaits par les conditions « équitables » de leur offre. En outre, la détermination et l’intelligence de Rahl paraissent les séduire…

Bertrand serra les poings.

— En tout cas, ajouta Dalton, c’est ce qu’ils affirment devant le seigneur et son épouse. Dès qu’ils ont tourné le dos, une réflexion plus poussée les conduit à changer d’avis.

Avant de continuer, Campbell s’assura que le couple Chanboor était suspendu à ses lèvres.

— C’est une chance pour nous, avec ce qui vient de se passer.

Avant de se tourner de nouveau vers la jeune femme qui continuait à le « stimuler », Bertrand dévisagea longuement son assistant.

— Et qu’est-il arrivé ? demanda-t-il.

Sous la table, Dalton prit la main de Teresa.

— Ministre Chanboor, très chère dame Chanboor, j’ai la douleur de vous annoncer que le pontife n’est plus de ce monde.

Teresa sursauta, poussa un petit cri et se cacha le visage derrière sa serviette pour que personne ne voie ses larmes. Elle détestait qu’on la regarde pleurer…

— J’avais cru comprendre qu’il allait mieux, dit Bertrand, le regard de nouveau braqué sur Dalton.

Une façon subtile d’exprimer ses soupçons… La mort du pontife n’avait rien pour le désespérer, mais il n’était pas bien sûr que Dalton ait eu les tripes nécessaires pour avoir accéléré son trépas. Et si c’était le cas, il se demandait pourquoi son assistant avait pris un tel risque.

Si bienvenu que fût le décès du pontife – qui libérait le trône que Bertrand lorgnait – toute suspicion d’assassinat, même si rien n’était jamais prouvé, risquait de compromettre leur plan au moment où la victoire se profilait enfin.

Sans se laisser démonter par les sous-entendus de son chef, Dalton se pencha vers lui et baissa la voix :

— Nous avons des ennuis. Trop de gens ont envie de tracer un cercle sur leur bulletin de vote. Pour les en dissuader, il faudra les convaincre que l’enjeu du scrutin en fait un choix de personne : notre bien-aimé pontife, ou un homme dont les bonnes paroles cachent sans doute de mauvaises intentions ?

» Vous savez que nous devons tenir les engagements pris vis-à-vis de notre… commanditaire. Perdre cette consultation est hors de question ! Nous devons nous dresser directement face à Rahl, même si c’est dangereux ! (Dalton baissa encore la voix.) Vous serez notre porte-parole, et ajouterez à votre prestige, déjà immense, celui du nouveau pontife !

Bertrand eut un sourire rayonnant.

— Très cher Dalton, vous êtes l’assistant le plus loyal et le plus compétent qu’il m’ait été d’avoir. Réjouissez-vous, parce que vous venez de passer en tête de liste pour l’attribution du poste de ministre de la Civilisation. Car vous devinez qu’il me faudra bientôt un remplaçant…

Enfin, tout est en place ! jubila Campbell.

Hildemara semblait stupéfaite, mais pas du tout mécontente. Pour avoir tenté de passer à travers, elle savait combien étaient serrées les mailles du filet protecteur qui entourait le pontife.

À la façon dont brillaient ses yeux, elle imaginait sans doute déjà ce que deviendrait sa vie, une fois qu’elle serait l’épouse du représentant du Créateur en ce monde. Comparée à son statut actuel, pourtant loin d’être négligeable cette position lui permettrait d’être mille fois plus puissante.

Elle se pencha pour saisir délicatement le poignet de Campbell.

— Dalton, vous êtes encore meilleur que je le croyais. Pourtant, j’avais déjà une haute opinion de vous. Mais je n’aurais pas cru cet exploit possible…

Elle ne précisa pas de quoi elle parlait, mais c’était évident.

— J’ai fait mon devoir, ma dame, sans me laisser arrêter par les difficultés. Car je sais que seuls comptent les résultats !

Hildemara serra doucement le poignet de Dalton avant de le lâcher. Il ne l’avait jamais vue manifester une telle admiration devant un de ses « exploits ». La mort de Claudine, pourtant orchestrée de main de maître, lui avait à peine valu un hochement de tête approbateur.

Il se tourna vers Teresa, trop immergée dans son chagrin pour avoir entendu son discret dialogue avec le couple ministériel.

— Tess, ça va ?

— Dalton, le pauvre homme ! Notre cher pontife ! Puisse le Créateur veiller sur son âme quand il l’accueillera à sa droite, la place qui lui revient !

Bertrand se pencha pour tapoter gentiment le bras de Teresa.

— De très bonnes paroles, mon enfant ! Et qui expriment à la perfection nos sentiments à tous.

L’air sinistre, le ministre se leva pour prendre la parole. Au lieu de tendre le bras pour demander le silence, comme il en avait l’habitude, il resta immobile, la tête inclinée et les mains croisées.

Sur un geste d’Hildemara, la harpiste cessa de jouer. Les conversations et les rires moururent à mesure que les convives s’avisaient qu’il se passait quelque chose de grave.

— Bonnes gens d’Anderith, je viens de recevoir une terrible nouvelle. Ce soir, nous sommes devenus un peuple orphelin et perdu. Car le pontife nous a quittés !

Au lieu des murmures que Campbell pensait entendre, un silence de mort tomba sur l’assistance.

À cet instant, Dalton mesura vraiment la portée de son… intervention. Depuis sa naissance, il vivait sous le règne du vieux pontife, apparemment indestructible. Une époque était révolue, et plus rien ne serait comme avant. À l’évidence, beaucoup de convives avaient les mêmes pensées que lui…

Bertrand battit des cils comme s’il luttait pour refouler ses larmes. Puis il parla d’une voix vibrante d’émotion contenue :

— Baissons les yeux, mes amis, et implorons le Créateur de veiller sur l’âme de notre vénéré pontife, quand il lui ouvrira les bras. À présent, je dois vous quitter, car il me faut convoquer les directeurs, afin qu’ils accomplissent leur devoir sacré.

» En un moment si grave, alors que le seigneur Rahl et l’empereur Jagang exigent tous les deux notre allégeance – et que les nuages noirs de la guerre s’accumulent sur nos têtes – je demanderai, pour le bien du peuple, que les directeurs nomment un nouveau pontife dès cette nuit. Demain, notre guide sera intronisé afin de rétablir le lien qui nous unit au Créateur. Ainsi, nous bénéficierons de l’assistance spirituelle que notre ancien pontife, rongé par l’âge et la maladie, n’était plus en mesure de nous fournir.

— Dalton, souffla Teresa, les yeux rivés sur Bertrand, tu te rends compte que nous écoutons peut être le futur pontife ?

Conscient que son épouse parlait en toute ingénuité, Dalton lui tapota tendrement le dos.

— Espérons-le, ma chérie… Espérons-le !

— Maintenant, nous devrions prier aussi…, murmura la jeune femme.

— Bonnes gens d’Anderith, dit Bertrand en écartant les bras, avant mon départ, recueillons-nous ensemble !

 

Dalton prit le bras de Franca dès qu’elle entra. Après l’avoir tirée à l’intérieur, il referma la porte de son bureau.

— Ma chère Franca, je suis ravi de vous voir ! Voilà un moment que nous n’avons plus parlé. Mille fois merci d’être venue !

— C’était important, disait votre message…

— Et il ne mentait pas ! Mais je vous en prie. Asseyez-vous.

Franca s’assit et lissa les plis de sa robe. Dalton s’appuya à son bureau, à côté delle. Une façon de marquer qu’il s’agissait d’une rencontre amicale.

Sentant un objet contre sa hanche, il baissa les yeux, vit qu’il s’agissait du carnet de Joseph Ander et le poussa pour qu’il ne le gêne plus.

— Dalton, vous pouvez aérer un peu ? demanda Franca en s’éventant d’une main. On étouffe, dans ce bureau.

Bien que le soleil se levât à peine, c’était la stricte vérité : il faisait très chaud, et la journée promettait d’être accablante. Avec un sourire courtois, Dalton alla ouvrir la fenêtre placée derrière son bureau. Voyant que Franca trouvait cette intervention insuffisante, il ouvrit également les autres.

— Merci, Dalton. C’est très gentil à vous. À présent, si vous me disiez ce qui est si « important ».

Campbell revint s’asseoir sur le coin de son bureau.

— Hier soir, avez-vous pu « entendre » quelque chose, pendant le banquet ? Avec l’annonce de la mort du pontife, cette soirée était hors du commun, n’est-ce pas ? Si vous avez capté certaines conversations, ça pourrait m’être très utile.

L’air désolé, Franca tira de sous la ceinture de sa robe une petite bourse dont elle sortit quatre pièces d’or.

— Voilà l’argent que vous m’avez donné depuis que j’ai des… difficultés… avec mon pouvoir. Reprenez-le, Dalton, je ne l’ai pas mérité. Et sachez que je suis navrée que vous ayez dû me convoquer parce que je ne suis pas venue vous rembourser assez vite.

Dalton savait à quel point Franca avait besoin de ces pièces. Son pouvoir étant défaillant, elle se retrouvait au chômage, et il ne lui faudrait pas longtemps pour être ruinée. Sans homme pour l’aider, elle devait gagner sa vie… ou mourir de faim. Lui rendre cette petite fortune n’était pas un geste sans importance.

— Franca, je ne veux pas de votre argent !

— Ce n’est pas le mien, justement ! Je ne l’ai pas gagné, alors pourquoi le garderais-je ?

Dalton prit les mains de son amie entre les siennes et les serra tendrement.

— Franca, nous nous connaissons depuis longtemps et nous sommes très proches. Si vous pensez vraiment ne pas avoir mérité ces pièces, je vais vous donner l’occasion de le faire !

— Mais je ne…

— Il ne s’agit pas de votre pouvoir, mais d’une autre chose que vous êtes en mesure de m’offrir.

Franca sursauta, indignée.

— Dalton, vous êtes marié ! Et à une femme superbe, en plus !

— Non, non…, bafouilla Campbell, stupéfait. Ce n’est pas… Si je vous ai laissée penser que… Excusez-moi de ne pas avoir été clair.

Dalton trouvait Franca attirante, bien qu’elle fût un peu trop vieille et franchement étrange. Même s’il n’avait jamais songé à lui faire des avances, il fut un peu déçu de voir qu’elle aurait jugé cette initiative des plus malvenues.

— Alors, que voulez-vous ?

— La vérité.

— Eh bien, il y en a plusieurs sortes, mon ami. Et certaines font plus de dégâts que les autres.

— De profondes et sages paroles…

— Quelle vérité voulez-vous connaître ?

— Franca, qu’est-ce qui cloche avec votre pouvoir ?

— Il ne fonctionne plus.

— Je le sais. Mais pourquoi ?

— Vous songez à vous reconvertir dans la sorcellerie ?

— Franca, c’est capital ! Il me faut la réponse !

— Pourquoi ?

— Je dois savoir si vous êtes la seule concernée, ou si tous les magiciens sont frappés. La magie est importante pour beaucoup de gens, en Anderith. Si elle disparaît, je dois savoir pourquoi, afin de pouvoir faire face.

— Je comprends…

— Alors, quel est le problème ? Et qui frappe-t-il ?

— Désolée, mais je n’en sais rien.

— Franca, je vous en prie, c’est essentiel pour moi !

— Dalton, n’insistez pas !

— Je dois savoir, Franca !

La magicienne baissa la tête et contempla un long moment le parquet. Puis elle prit la main de Dalton, posa les pièces sur sa paume et le força à refermer les doigts dessus.

Enfin, elle se leva et regarda l’assistant dans les yeux.

— Je vais répondre, mais je n’accepterai pas d’argent. On ne se fait pas payer pour ce genre de chose. Vous saurez uniquement parce que je… enfin, parce que vous êtes un ami.

Dalton trouva un air sinistre à Franca, comme si elle venait de prononcer sa sentence de mort. Il lui fit signe de s’asseoir et elle obéit avec un soulagement évident. À croire que ses jambes avaient du mal à la porter.

— Je vous suis reconnaissant, mon amie. Du fond du cœur !

— La magie en général est menacée. Puisque vous n’êtes pas un expert en la matière, je vous épargnerai les détails. Sachez seulement que la magie agonise. Pas seulement la mienne, mais toute celle qui existait en ce monde. Elle est morte et enterrée !

— Pourquoi ? Et n’y a-t-il vraiment rien à faire ?

Franca réfléchit un moment.

— Hélas, non… Je n’en suis pas certaine, bien sûr, mais je peux vous révéler que le Premier Sorcier en personne a péri en tentant de résoudre le problème.

Dalton en resta bouche bée. Bien qu’il fût un profane en magie, il savait qu’elle était souvent bénéfique. Comme le pouvoir de guérison de Franca, qui soulageait les corps, mais aussi les âmes en proie à d’indicibles tourments.

Cet événement était plus important que la mort du pontife. Parce qu’il marquait la fin d’une époque des centaines de fois plus longue que le règne du vieil homme.

— La magie peut-elle revenir ? Un miracle est-il encore possible ? Je veux dire… eh bien, un renversement de situation…

— Je l’ignore. Un homme qui en savait beaucoup plus long que moi a échoué, et ça m’incite à penser que le phénomène est irréversible. Il reste peut-être une chance, mais j’ai bien peur qu’il soit déjà trop tard pour la saisir.

— Et quelles seront les conséquences de ce drame ?

— Je n’en sais rien…, répondit Franca, soudain plus pâle qu’une statue de cire.

— Avez-vous étudié la question ? À fond, et sous tous les angles envisageables ?

— Je ne sors plus de chez moi, et je tente l’impossible pour comprendre. Le banquet d’hier était ma première apparition publique depuis des semaines. (Franca fronça les sourcils.) Quand il a annoncé la mort du pontife, le ministre a fait allusion à un « seigneur Rahl ». De qui s’agit-il ?

Recluse volontaire, Franca n’avait entendu parler ni de Rahl ni du scrutin, supposa Dalton. Mais après ce qu’il venait d’apprendre, il n’avait pas le temps de se lancer dans d’interminables explications.

— Comme d’habitude, des concurrents surenchérissent pour avoir accès à la production d’Anderith… (Dalton tendit la main à Franca et l’aida à se relever.) Merci d’être venue et de m’avoir parlé si franchement. Votre aide m’est plus précieuse que vous l’imaginez.

Franca parut vexée d’être ainsi congédiée, mais Campbell ne pouvait rien faire pour la consoler. Il devait se mettre au travail d’urgence !

La magicienne le regarda, ses yeux semblant sonder jusqu’au plus profond de son âme. Un regard hypnotique, pouvoir ou pas…

— Dalton, promettez-moi que je ne regretterai jamais de vous avoir dit la vérité !

— Franca, je vous assure que…

Dalton se retourna, car il venait d’entendre un bruit étrange derrière lui. Surpris, il poussa Franca en arrière.

Un gros oiseau noir s’était perché sur le rebord d’une fenêtre. Un corbeau, estima l’assistant, bien qu’il n’en eût jamais vu un de si près.

L’oiseau vola jusqu’au bureau, se posa sur un écritoire et dérapa, car il ne s’attendait sûrement pas à trouver un « perchoir » aussi lisse et mou. Il se stabilisa maladroitement et regarda autour de lui.

Dalton contourna le bureau et dégaina son épée, posée sur le support en argent. Franca tenta de lui saisir le poignet.

— Ne faites pas ça ! Tuer un corbeau porte malheur !

Cette fâcheuse intervention et un bond latéral de l’oiseau firent manquer sa cible à l’assistant.

Le corbeau croassa d’indignation et sautilla jusqu’à l’autre extrémité du bureau. Dalton écarta fermement Franca et leva de nouveau son épée.

L’oiseau se baissa, prit dans son bec, le carnet noir de Joseph Ander et s’envola. Sans lâcher son butin, il voleta frénétiquement dans la pièce.

Dalton ferma la fenêtre placée derrière son bureau. Furieux, le corbeau l’attaqua, et ses serres entaillèrent le cuir chevelu de l’assistant pendant qu’il fermait les deux autres fenêtres.

Dalton frappa et sentit que sa lame avait frôlé le maudit oiseau. Avec des croassements assez forts pour percer les tympans des deux humains, le corbeau vola vers la fenêtre du milieu.

Campbell et la magicienne se protégèrent le visage une fraction de seconde avant que la vitre explose.

Des éclats de verre volèrent un peu partout…

Quand il baissa les mains. Dalton vit le corbeau se poser de justesse sur la branche d’un arbre dont la cime tutoyait le deuxième étage. Il faillit tomber, se rétablit de justesse et tituba sur ses pattes. À l’évidence, il était blessé.

Dalton jeta son épée sur le bureau et s’empara d’une des hallebardes qui flanquaient les étendards de guerre. Avec un grognement, il lança l’arme sur l’oiseau voleur.

Le corbeau s’envola, le livre toujours dans le bec. L’arme le rata de peu et il disparut dans le ciel.

— Je suis contente que vous l’ayez raté, dit Franca. Le tuer ne vous aurait pas porté chance.

— Il a volé le livre ! rugit Dalton, rouge de colère.

— Les corbeaux sont bizarres… Ils dérobent souvent des objets pour les offrir à leur compagne. Vous saviez qu’ils s’unissaient pour la vie ?

— Sans blague ? grogna Dalton en tirant sur ses vêtements en désordre.

— Mais la femelle trompe son compagnon. Parfois, pendant qu’il est parti chercher des brindilles pour construire leur nid, elle se donne à un autre mâle.

— Vraiment ? Et que voulez-vous que ça me fasse ?

— Eh bien, je pensais que ça vous intéresserait, par simple curiosité… (Franca approcha de la fenêtre dévastée.) Ce livre était précieux ?

— Non. (Dalton fit prudemment tomber des éclats de verre de son épaule.) Un vieux texte écrit dans une langue que plus personne ne comprend.

— Alors, le mal n’est pas si grand… Soyez heureux qu’il ne vous ait pas volé un trésor…

— Mais regardez-moi ce fouillis ! s’écria Dalton. (Il se baissa, ramassa quelques plumes noires et les jeta par la fenêtre. Puis il remarqua une tache rouge, sur son bureau.) Au moins, il aura dû verser son sang pour s’approprier son butin !

L'Ame du feu - Tome 5
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